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Quand il faut boucler les boucles pour avancer





On se sent bien souvent acculé à l’arrivée de la rentrée. Pourtant, des solutions existent pour que celle-ci soit vécue de manière plus positive et sans l’insomnie qui nous tire de nos draps afin de savoir si on a bien envoyé le chèque à l’association de judo ! Romain Bisseret est le co-dirigeant de In Excelsis, un centre de formation qui a pour fers de lance deux sujets bien connus des parents : la charge mentale et la gestion de l’organisation. Pendant plusieurs années, Romain a mené de front différents parcours professionnels dans des secteurs variés et cela lui a demandé d’apprendre à s’organiser quotidiennement afin de parvenir à mener ses projets à bien, mais également à s’épanouir dans sa vie personnelle. C’est un échange passionnant et riche en astuces que nous vous proposons !



Comment avez-vous décidé de vous orienter vers la formation ?

Le moment déclencheur a eu lieu en 2006, lorsque j’étais aux États-Unis, alors que j’évoluais dans le milieu du cinéma. On m’a proposé de jouer une pièce pour la communauté française vivant à Los Angeles et de réaliser un documentaire sur le blues à Chicago. J’ai dit oui aux deux projets, qui étaient prévus aux mêmes dates. À cette époque, mon colocataire m’a donné un livre sur la méthode GTD (NDLR : La méthode Getting Things Done (GTD) a été créée pour améliorer sa productivité personnelle grâce à une meilleure organisation), qui faisait fureur aux États-Unis. J’ai donc pris le livre avec mon côté français un peu sceptique. Pourtant, il est vrai qu’en le lisant, je me suis aperçu que je savais déjà tout ce qu’il fallait mettre en place, mais que je ne le faisais pas. J’ai donc essayé de mettre plusieurs éléments en œuvre pour parvenir à concrétiser toutes mes envies et augmenter ma productivité. Grâce à cette méthode, j’ai pu réaliser davantage de choses, mais surtout j’ai obtenu une tranquillité d’esprit là où avant j’arrivais à me noyer dans un verre d’eau. J’ai donc adhéré à ce genre d’organisation, car celle-ci me permettait d’évoluer dans mon parcours professionnel tout en ayant du temps pour fonder une famille en parallèle. C’est comme tout : il y a un effort à faire au départ, mais le confort de vie que l’on gagne est saisissant.


Vous avez ensuite voulu vous former afin de donner

des conseils aux autres, c’est bien cela ?

Oui, tout à fait. J’ai créé ma société de formation en 2010 afin de partager mon expérience de la méthode. Je souhaitais surtout mettre en avant la tranquillité d’esprit qu’elle apporte. Je suis intervenu principalement en entreprise, où il est nécessaire de rappeler que les salariés ont aussi une vie personnelle. En fait, la séparation entre le privé et le professionnel n’a que très peu de sens. Elle est très arbitraire, selon moi. Certes, nous agissons en tant que professionnels sur nos lieux de travail ; pour autant, nous restons des personnes à part entière, avec tout ce que cela implique de personnel, dont les pensées qui peuvent tourner en arrière-fond lors des journées de travail.


En 1984, la sociologue française Monique Haicault définissait

la charge mentale comme le fait de devoir penser à un domaine alors qu'on se trouve physiquement dans un autre. Comment définiriez-vous la charge mentale de votre côté ?

La charge mentale vient surtout du fait de craindre de ne pas pouvoir terminer une action. Cette crainte entraîne un retour de bâton. C’est cette anticipation d’une chose inachevée qui tourne en boucle dans nos esprits.


Notre cerveau serait trop sollicité ? Certains professionnels

parlent d’« écologie intellectuelle ». Est-ce voué à l’échec

que d’avoir une to-do list trop longue ?

C’est très intéressant de s’intéresser au cerveau, effectivement. J’ai effectué plusieurs recherches à ce sujet et on s’aperçoit notamment que notre cerveau est beaucoup plus sollicité qu’avant par ce genre de choses. Si on regarde l’histoire entière de l’humanité, cela ne fait qu’un siècle tout juste que nous surchargeons ce que l’on appelle notre mémoire de travail. La mémoire de travail se met en place pour retenir les choses que l’on doit faire, une action donnée, mais que l’on oubliera complètement ensuite. À la préhistoire, par exemple, on se disait : « Je dois tailler mon silex », et une fois que celui-ci était taillé, les gens passaient à autre chose et n’avaient plus à s’en souvenir. Dans notre société actuelle, si, par exemple, vous devez prendre un train quai 19, vous allez penser au quai 19 jusqu’à votre arrivée sur celui-ci, puis vous allez complètement l’oublier. La mémoire de travail est destinée à stocker les infos dont on a besoin pour réaliser les tâches en cours. Pour autant, cette mémoire de travail va également recevoir toutes les informations sur toutes les choses que nous n’avons pas terminé de faire. On appelle cela l’effet Zeigarnik, tiré du nom de la psychologue russe Bluma Zeigarnik, qui a identifié ce phénomène dans les années 1920. (NDLR : l’effet Zeigarnik désigne la tendance à mieux se rappeler d’une tâche inachevée car interrompue que d’une tâche déjà accomplie. Le fait de s'engager dans la réalisation d'une tâche crée une motivation d'achèvement qui reste insatisfaite tant que la tâche est interrompue. Sous l'effet de cette motivation, cette tâche doit être mémorisée mieux qu'une tâche achevée). Cette psychologue a notamment étudié les garçons de café, car elle trouvait fascinant qu’ils se rappellent les commandes de chaque personne jusqu’à ce que les gens paient. Une fois la commande réglée, les garçons de café oubliaient tout ce qu’elle contenait. Elle s’est donc intéressée de près à ce phénomène d’oubli dès qu’une action est effectuée. On peut considérer que les actions que nous avons à réaliser sont comme des boucles ouvertes dans le cerveau : tant que l’action n’est pas achevée, la boucle reste ouverte. C’est d’ailleurs une métaphore qui a été confirmée à l’aide d’une IRM fonctionnelle : si l’on place quelqu’un dans une IRM et qu’on lui donne quelque chose à faire en temps réel, on voit très bien que le cerveau s’active tant que l’action à réaliser n’est pas terminée. Et si l’on donne plusieurs tâches à effectuer, plusieurs zones vont s’activer.


Comment peut-on faire pour boucler ces boucles ?

Il existe deux manières de mettre fin à une boucle. La première, c’est évidemment de terminer l’action. La deuxième, qui est très intéressante et sur laquelle se basent beaucoup de méthodes dont celle que je propose dans mon livre, c’est de soulager le cerveau en faisant en sorte qu’il ait confiance. Il s’agit de lui faire comprendre qu’il pourra faire cette chose quand le moment se présentera. Je vous donne un exemple concret : imaginez que vous êtes chez vous et, tout d’un coup, vous vous souvenez que vous devez absolument prendre un sac particulier pour l’amener au travail le lendemain. Imaginez que cette tâche a un enjeu énorme : si vous oubliez le sac, vous perdez votre emploi. Qu’allez-vous faire ?

Je pense que je mettrais le sac devant ma porte d’entrée !

J’ai souvent cette réponse-là. C’est donc la technique de la porte d’entrée. Parfois, les gens me disent qu’ils mettraient le sac sur leurs chaussures ou bien qu’ils mettraient leurs clés à l’intérieur du sac en question. Mais, en fait, c’est le même principe. Une fois que vous aurez mis le sac devant votre porte, allez-vous repenser à ce sac dans la soirée ? La réponse est non, vous n’y penserez plus du tout alors que l’enjeu est énorme. Mais, votre cerveau a confiance, il sait qu’il verra le sac le lendemain et qu’il pensera à le prendre. Il n’y a même pas besoin de mettre un Post-it sur le sac. C’est donc une manière de boucler une boucle alors même que l’action n’est pas terminée, car le sac n’est pas encore sur votre lieu de travail. De ce fait, lorsqu’on ne peut pas faire une chose immédiatement, il est nécessaire de la placer à un endroit où le cerveau sait qu’il pourra y accéder et réagir lorsque ce sera le bon moment. L’idée, c’est de libérer notre mémoire de travail et évacuer le stress dû à la surcharge de celle-ci.


Concernant la rentrée scolaire, les parents se sentent souvent acculés par les inscriptions en tout genre, l’achat des fournitures… Comment peuvent-ils compartimenter tout cela ?

Ce que je conseille, c’est le principe de la liste. C’est vrai qu’il n’y a rien de nouveau, mais ce qui peut être différent, c’est la manière de rédiger ces listes et de les rassembler, ce qui n’est pas toujours intuitif au départ. En général, lorsqu’on se sent débordé, on ressent le besoin de se poser et d’écrire tout ce qui nous oppresse sous forme de liste pour y voir plus clair. Cela fonctionne, mais, souvent, le fait de rédiger ces listes ne soulage pas suffisamment. Écrire une liste, c’est une étape, mais il y en a d’autres. En fait, il est nécessaire de rédiger autant de listes qu’il y a de choses à faire. De cette manière, au moment de réaliser l’une des actions, vous pourrez ne sortir que la liste correspondante. 


La procrastination s’invite aussi parfois, à la rentrée notamment.

Comment faire pour s’en débarrasser ?

Tout à fait, on a souvent tendance à repousser les choses. Mais, pourquoi repoussons-nous ? Par exemple, sur les listes que nous faisons, nous pouvons écrire « Inscription des enfants », sans autre information. À la lecture de cette phrase, notre cerveau envisage tout un tas de choses : qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? combien ? Lorsqu’on voit donc cette phrase sur notre liste, cela nous angoisse et on se dit que l’on n’a pas le temps dans l’immédiat de réaliser cette tâche qui semble demander beaucoup d’énergie. Et du coup, il y a procrastination. On peut stopper ce processus en rédigeant les listes différemment. Au lieu d’inscrire simplement « Inscription des enfants », il s’agit de détailler la tâche à accomplir en la décomposant. Par exemple, on peut écrire des sous-chapitres tels que « Regarder sur le site du judo la date des inscriptions ». L’idée est de développer tout le processus d’inscription et d’évaluer ce qui peut être fait petit à petit. Cela fait office de starting-block qui nous permet de commencer l’inscription sans pour autant nous engager à la finaliser, ce qui peut paraître angoissant sur l’instant. En développant ainsi chaque sous-chapitre de la tâche principale, la liste devient encourageante. Lorsque vous avez réalisé une action, vous le notez afin de passer à l’étape suivante et ainsi de suite jusqu’à ce que l’inscription soit effectivement terminée. On peut appeler cela la technique du marque-page : lorsqu’on lit un livre, on positionne un marque-page avant de le refermer afin de savoir où on en est. Pour cette technique, c’est pareil, on avance à notre rythme. En scindant les actions, elles nous paraissent plus facilement réalisables et moins anxiogènes. Le fait est qu’on procrastine beaucoup moins quand il faut réaliser de petites actions.


Quels sont les symptômes physiques qui prouvent

que nous sommes surchargés ?

Les signes sont assez simples : dès que nous sentons un inconfort face à une situation, c’est que la chose n’est pas traitée comme elle le devrait. Si, par exemple, le simple fait d’évoquer la rentrée des classes nous angoisse, c’est un signe qu’elle n’est pas gérée comme il le faudrait. Et c’est en faisant ces listes que l’on se décharge de ce stress. Même si on se retrouve avec 15 listes, ce n’est pas un problème, car, finalement, avant d’être sur ces listes, les infos étaient entassées dans notre tête. Elles étaient là malgré tout. L’idée, c’est bien de tout sortir de notre tête. Comme son nom l’indique, le problème de la charge mentale, c’est qu’il s’agit bel et bien d’une charge et qu’elle est mentale. Donc la première chose à faire, c’est de décharger le cerveau, sortir les informations de notre tête. Ensuite, il s’agit de faire en sorte que ces actions à réaliser ne soient pas vécues de manière forcément négative. Sur ce dernier point, cela relève plus de la posture de vie, mais on peut vraiment se dire que ces tâches sont nécessaires pour l’harmonie de la famille.


La charge mentale a été popularisée notamment avec

la dessinatrice Emma. Pouvez-vous nous en parler ?

Oui, tout à fait. Elle a permis de sensibiliser beaucoup de personnes à ce sujet. La charge mentale, au départ, c’est seulement un aspect cognitif du fonctionnement du cerveau, mais, par extension, cela devient aussi un problème de société puisque, de nos jours, la charge mentale a ce côté qui touche davantage les femmes. Dans mon livre, je m’attache essentiellement à l’aspect cognitif, donc au fonctionnement du cerveau, afin de réduire, voire éliminer cette charge mentale. Et cela s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes.


Le fait d’avoir une charge mentale signifie aussi qu’on

a des choses à faire. Peut-on dire que, d’un certain côté,

c’est positif ?

Absolument. Avoir des choses à faire, ça veut dire être en vie, avoir une vie sociale, professionnelle, etc. Cela peut donc être le signe d’une existence riche. Et puis, nous avons des responsabilités les uns envers les autres et envers nous-mêmes également. Il est donc nécessaire d’être honnête dans les rôles que l’on tient, que ce soit auprès de nos enfants, de notre couple, de nos familles. Je recommande d’ailleurs d’effectuer une cartographie de ces rôles, dans la mesure du possible. Ça peut paraître curieux, mais c’est très intéressant. Par exemple, au niveau professionnel, c’est la fiche de poste qui fait foi. D’un point de vue personnel, on peut constituer des cartes mentales de nos rôles, notamment vis-à-vis de nous-mêmes. Nous avons par exemple un rôle de santé, de liberté financière, un rôle vis-à-vis de nos amis, de nos enfants, de notre famille. Cette technique permet d’entretenir toutes nos relations et de définir ce qui nous incombe de faire. Par ailleurs, la cartographie des rôles dans le couple est très intéressante, pour la charge mentale justement, les devoirs que chacun s’engage à remplir. D’ailleurs, que l’on soit hétéro ou LGBT, la charge mentale n’est pas répartie équitablement. On s’aperçoit que la personne qui gagne le plus d’argent dans le couple a une charge mentale moins lourde. À l’arrivée du premier enfant, la personne qui s’implique le moins est celle qui gagne le plus. Le raisonnement derrière cela semblerait être : « Je gagne plus d’argent, donc mon métier est plus important, donc il faut que je sois davantage au travail. » On pourrait pourtant tout à fait raisonner en se disant : « Si tu travailles moins, je pourrai travailler plus et cela s’équilibrera. » Pour en revenir aux cartographies, il est nécessaire de savoir qui fait quoi dans le couple et de l’acter afin que chacun sache ce qu’il doit accomplir pour le bon fonctionnement de la famille. Le problème des choses jamais actées, c’est qu’on ne peut pas les arbitrer ou les équilibrer. Ce mode de fonctionnement permet de les mettre au clair. Par exemple, l’un est plutôt prédisposé pour la lessive et l’autre pour le lave-vaisselle, etc. C’est une question d’organisation qui permet de réduire considérablement la charge mentale dans le couple et de simplifier les choses.


À partir de quel moment pouvons-nous impliquer les enfants dans l’organisation des tâches ménagères ?

Ce qui fonctionne bien avec les enfants, c’est de les responsabiliser pour les tâches à faire en fin de journée. On peut créer un planning ludique avec la douche, les devoirs, etc., et c’est l’enfant qui décide quelle tâche il réalise à quel moment, sachant qu’il devra toutes les réaliser. Mais, en le plaçant en tant que décisionnaire de ses actions, il va les réaliser avec plus d’entrain que lorsqu’on lui rabâche les choses. Quand les enfants sont plus grands, vers 10-12 ans, ils peuvent tout à fait se charger de mettre le couvert et de débarrasser la table. En règle générale, les enfants sont contents d’être responsabilisés. À l’entrée au collège, ils peuvent aussi se charger d’aller acheter leurs fournitures scolaires si on leur donne l’argent nécessaire. Il est important de faire faire des listes aux enfants afin qu’ils sachent exactement ce qu’ils doivent accomplir. ­­Il faut aussi garder en tête que, d’une manière générale, nos listes et to-do lists ne seront jamais vides. On les effectue, mais on rajoute d’autres tâches à la place. Il est donc préférable de voir cela comme quelque chose de positif, qui participe à la bonne vie du foyer.

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