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Être bienveillant avec soi-même pour l’être avec les autres


Emma Pisarz est psychologue. Elle exerce en cabinet à Paris, mais également en visio. Si ses spécialités sont les thèmes liés au travail et à l’expatriation, c’est surtout à propos des TCA (les troubles du comportement alimentaire) que nous avons souhaité échanger avec elle. En effet, l’un de ses billets parus sur son blog au sujet du summer body nous a particulièrement intéressées et nous a donné envie de la contacter. Le regard que nous portons sur nous-mêmes n’est souvent pas très bienveillant, et c’est d’autant plus vrai chez les jeunes. L’arrivée de l’été peut être un moment particulièrement compliqué. Voici donc quelques conseils pour vivre dans son corps sans culpabiliser ou se comparer.



Chaque été, nous entendons parler du fameux « summer body ». Qu’est-ce que ce terme peut provoquer dans notre inconscient ?

Pour commencer, personne ne nous parle de « winter body », donc c’est comme si nous devions attendre une période bien précise pour avoir un corps bien spécial alors que, si on est réellement dans une perspective de prendre soin de soi et d’être bienveillant avec soi-même, à mon sens, c’est toute l’année que nous devons nous en soucier. Il n’est pas question de se dire tout d’un coup : « Vite, il y a le summer body qui approche » et de faire l’impasse tout le reste du temps. Par ailleurs, le concept du summer body met une pression sur un temps donné non pas pour prendre soin de soi, mais pour obtenir un corps qui répond aux exigences de la société.


En quoi ce matraquage d’un corps parfait peut-il être dangereux psychologiquement, pour les adolescents notamment ?

L’adolescence est une période compliquée, avec des changements physiques et hormonaux conséquents. C’est aussi une période où le groupe va devenir important et où l’on va se distancer de la famille pour vivre un peu en meute avec ses amis. De fait, il va y avoir une certaine pression pour se conformer. C’est tout à fait normal à cet âge, car on a peur d’être différent et donc d’être rejeté. De ce fait, lorsqu’on est adolescent, on est bien plus influençable, même si, sur le moment, on n’en est pas forcément conscient. On ne prend pas toujours les meilleures décisions pour soi. Donc, lorsqu’on passe énormément de temps sur les réseaux sociaux, que l’on observe des corps qui ne sont pas forcément basiques, mais que l’on peut croiser dans la rue, on peut être tenté d’adopter des schémas qui ne sont pas les plus sains pour la santé dans le seul but de ressembler à ces personnes. S’il est vrai que les femmes ont plus de pression sociale de ce côté-là, il n’empêche que les hommes sont également touchés par ces diktats. On leur demande d’avoir un corps musclé, par exemple.


En quoi les régimes peuvent-ils être néfastes ?

Je ne suis pas nutritionniste, donc je ne saurais dire si les régimes sont néfastes en soi, mais, à mon sens, on ne peut pas vivre une vie en régime permanent. On peut changer d’alimentation et réguler ce que l’on met dans son assiette, mais un régime à proprement parler, cela inclut de devoir contrôler des choses que l’on ne contrôlait pas avant et ce n’est pas naturel. Moi, ce que je recommande à mes patients, c’est d’aller voir une diététicienne avec qui je travaille et qui applique une méthode autour de la satiété et du plaisir. Il y a des règles qui sont simples dans la vie. Par exemple, quand vous êtes fatigué(e), vous allez dormir. Eh bien, dans le cas présent, quand vous avez faim, vous mangez, et quand vous n’avez pas faim, vous ne mangez pas. En réalité, il y a beaucoup de gens qui ne savent plus lorsqu’ils ont faim ou pas. Il existe aussi des personnes qui mangent pour répondre à des besoins émotionnels. Dans tous les cas, un régime correspond à un contrôle qui peut entraîner des résultats jouissifs ou anxiogènes et, dans ce dernier cas, c’est la porte ouverte à des problématiques psychologiques.


Les régimes peuvent-ils donc être des portes d’entrée

aux TCA ?

Tout à fait. D’ailleurs, bon nombre de patients qui développent des TCA ont commencé par un simple régime pour se sentir un peu mieux et perdre quelques kilos superflus. Pour autant, ce n’est pas la raison première. Les personnes souffrant de TCA ont d’autres raisons plus profondes. Cependant, les régimes sont des portes d’entrée, c’est sûr. Pour certaines personnes, on va faire un petit régime, reprendre le sport et s’apercevoir que l’on perd quelques kilos, et ce sera jouissif. Mais, pour d’autres, cela ne marchera pas. Ces personnes vont alors utiliser d’autres moyens, qui ne seront pas forcément bons pour leur santé, et parfois, elles n’auront pas le recul suffisant pour s’en rendre compte.


Hormis l’anorexie et la boulimie, dont nous entendons

régulièrement parler, quelles autres maladies liées

à la nutrition existe-t-il ?

Il y a l’hyperphagie, dont on n’entend pas souvent parler. C’est le fait de manger de grandes quantités en temps de crise avec aucun comportement compensatoire, ce qui fait que l’on prend en général beaucoup de poids. Concernant l’anorexie, ce n’est pas une maladie qui ne concerne que le physique, elle est aussi mentale. Cela commence d’ailleurs dans la tête. En fait, on peut très bien être anorexique et avoir un physique normal. Vous allez être dans une restriction alimentaire et vous allez vous mettre à tout compter, par exemple, mais, pour autant, votre poids et votre corps ne vont pas changer. C’est ce qu’on appelle de l’anorexie mentale. Pourtant, pour avoir le diagnostic de l’anorexie, il faut répondre à différents critères, dont le sous-poids, alors que ce dernier est une conséquence de la maladie. C’est avant tout dans la tête. De ce fait, il peut être très compliqué parfois d’obtenir un diagnostic et que ce soit pris au sérieux. C’est comme pour la boulimie : il y a celle qui est vomitive, mais aussi celle que l’on compense avec des laxatifs, celle que l’on compense avec le sport. Il y a plein de tiroirs différents dans ces maladies.


Existe-t-il des terrains propices à ces maladies ?

Oui, il y a des terrains propices et il existe aussi une petite part de génétique. Tout dépend également de l’environnement dans lequel vous grandissez ainsi que des événements qui surviennent dans votre vie. C’est une conjoncture d’événements qui va faire que ces maladies se déclarent ou non. Plus les problèmes sont pris suffisamment tôt et plus la rémission est « simple ». Mais, ce qui est compliqué avec les troubles du comportement alimentaire, c’est que, contrairement aux autres addictions, où vous pouvez tout à fait vivre sans fumer et sans vous droguer, il est impossible de vivre sans manger. Donc, tous les jours, on est confronté à ce moment où il faut se nourrir. Par ailleurs, la nourriture est un objet très social. On va au restaurant pour fêter un événement, on va boire un verre, on célèbre le dîner de Noël… D’où le fait que les personnes qui souffrent de TCA ont tendance à s’isoler.


Comment peut-on aider les adolescents lorsque

leur corps évolue ?

Il faut commencer à accompagner les enfants bien avant l’adolescence. Cela passe par le fait de ne pas faire de commentaires négatifs sur un corps. Par exemple, si l’enfant ne rentre plus dans son pantalon, on peut lui dire : « Ce n’est pas grave, on va acheter la taille au-dessus, car l’important, c’est que tu sois à l’aise dans tes vêtements. » Si votre enfant a quelques kilos en plus, il ne faut pas dramatiser la situation. Il peut être bon d’aller voir une nutritionniste, par exemple. Je pense qu’il ne faut pas que les parents fassent une fixation sur le poids, sur ce que l’on mange, au risque de diaboliser des aliments. Rien n’est mauvais dans l’absolu ! On peut très bien manger trois carrés de chocolat par jour sans grossir. Et si on préfère remplacer ces carrés de chocolat par trois feuilles de salade avalées sans plaisir, ce sont des calories consommées inutilement. Tout commence par soi-même. Pour qu’un parent soit bienveillant avec son enfant et l’accompagne à accepter son corps, il est nécessaire que le parent soit bienveillant envers lui-même. Cela passe aussi par le fait de ne pas dénigrer les corps que l’on voit, comme à la télé, par exemple en disant : « Cette présentatrice est grosse. ». Il faut que le sujet soit ouvert et que tout le monde puisse en parler. Or, parfois, c’est un sujet tabou dans les familles. On peut aussi dire aux enfants que les photos qu’ils voient dans les magazines ou sur les réseaux sociaux sont pour la grande majorité retouchées et que ces corps qu’ils admirent n’existent pas forcément dans la vraie vie. Pour ce qui est des top models, certes, elles ont un corps dit « parfait », mais c’est leur métier et elles passent leurs journées entières à faire du sport, à être jolies et à faire des photos. On a tous des métiers différents !


Les filtres des réseaux sociaux sont problématiques

si on les utilise tous les jours. Cela peut-il parfois entraîner

des dysmorphies ?

Tout à fait, c’est un problème. D’ailleurs, on constate que le nombre de chirurgies esthétiques a bondi, mais sur des critères bien particuliers liés à ces filtres. Certaines personnes n’apparaissent plus sur les réseaux sociaux sans utiliser ces dispositifs, car elles sont incapables de se voir sans eux. Je pense que celles et ceux qui ont grandi avec ces réseaux n’ont pas le recul suffisant pour s’apercevoir que c’est problématique. Pourtant, ça l’est, car on a une image de soi-même complètement déformée et ce n’est pas évident ensuite de s’accepter tel que l’on est. Au-delà de ça, cela pose aussi la question de la manière dont on se présente. Pour les personnes qui ne se montrent qu’à travers des filtres, les gens ne connaissent que cette image-là. Que diraient-ils s’ils voyaient la personne avec son vrai visage ? Pour autant, rien n’est problématique dans son ensemble : c’est l’usage que l’on fait des choses qui peut poser des problèmes. Le concept des réseaux sociaux est super, mais c’est l’usage que l’on en fait qui n’est pas forcément adapté. C’est pareil avec le chocolat, par exemple. C’est génial, mais si on en mange une tablette par jour, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose. Donc, mettre un filtre de temps en temps et pour rire avec ses amis, c’est très bien, mais se sentir obligé d’en mettre un à chaque fois, car on ne supporte pas sa tête, c’est autre chose.


Cela peut-il engendrer des problèmes psychologiques

nouveaux ? Il y a une quinzaine d’années, on ne se prenait

pas constamment en photo, par exemple.

Oui, tout à fait. On voit parfois des personnes qui sont atteintes de dysmorphophobie et qui ne se voient vraiment pas telles qu’elles sont. Parfois, lors de mes consultations pour des TCA, je donne une corde à mes patients afin qu’ils estiment leur tour de taille et qu’ils la posent au sol. Ensuite, nous comparons à la réalité. Les gens s’imaginent beaucoup plus gros qu’ils ne le sont. Lorsqu’on est touché par ce type de problème, on ne voit plus son corps tel qu’il est.


En tant que parents, devons-nous alerter les enfants sur

l’usage abusif de ces filtres ?

Absolument ! Et, plus globalement, il faut rester alerte à propos de ce que font les enfants sur les réseaux. Concernant les filtres, il faut leur rappeler qu’ils ne ressemblent pas à cette image en vrai et que c’est très bien comme ça.


L’estime de soi est-elle récupérable au fil des années ?

L’estime de soi et la confiance en soi ne sont pas des choses innées, elles se travaillent. Même si on part avec une estime de soi assez basse, il est tout à fait possible de la travailler et de la remonter. Cela dit, ça demande d’être vulnérable et ce n’est pas évident. Dès le moment où l’on commence à travailler sur quelque chose qui nous fait du mal ou que l’on estime être négatif, il faut pouvoir s’asseoir avec soi-même et être honnête. C’est très difficile. Mais, heureusement que l’estime de soi se récupère ! On n’est pas condamné à être mal dans sa peau. 


Concernant les mères, le corps post-partum est beaucoup montré du doigt, notamment sur les réseaux sociaux.

Comment peut-on accompagner les femmes dans ce cas ?

Dans la vraie vie, vous avez peut-être votre tante et votre sœur qui sont susceptibles de vous donner des conseils, et c’est tout. Sur les réseaux sociaux, nous avons accès à une formidable quantité d’informations. Vous avez le retour d’expérience d’environ cent millions de femmes et c’est très impressionnant. Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux ne sont pas une fatalité. On ne nous force pas à les consulter, c’est-à-dire qu’on choisit d’y aller et de suivre certaines personnes et on choisit de consommer du contenu. Par exemple, à la télé, lorsqu’il y a de la pub, on choisit parfois de couper le son ou de changer de chaîne. Pour les réseaux sociaux, c’est pareil : on peut choisir ce que l’on souhaite voir et recalibrer les personnes que l’on souhaite suivre. Le post-partum est un moment très délicat pour les femmes, qui peut être vécu très différemment selon chacune. Pour les personnes très connues, les exigences corporelles ne sont peut-être pas les mêmes. Pour d’autres, les retours d’expérience sont horribles. Chaque histoire est personnelle et il n’est pas nécessaire de consulter toutes les expériences ou de se comparer. Il faut aussi recontextualiser les choses. Chacune a vécu une grossesse différente, dans des conditions différentes. Il est intéressant de se rappeler à quoi a servi notre corps pendant la grossesse et pourquoi il s’est transformé. La peau se distend et le corps change pour des raisons physiologiques qui sont normales. Il faut savoir se protéger même si on est tous très curieux. Il faut faire la part des choses entre la curiosité malsaine et le besoin de savoir. Par ailleurs, dès l’instant où l’on comprend mieux son corps, on voit les choses différemment. Si on prend l’exemple des femmes qui ont de la cellulite sur les cuisses, c’est parce que le corps stocke dans l’hypothèse où demain il y aurait une famine. Ce stock permettrait de parer les grandes faims et c’est un mécanisme très intelligent quand on y pense de cette manière. De nos jours, on voit cela comme quelque chose à éliminer.

Les réseaux sociaux ont permis malgré tout de libérer

la parole sur l’aspect du corps, comme pour les poils,

par exemple. Qu’en pensez-vous ?

C’est le grand écart entre la partie où on déculpabilise et la partie où tout est parfait. À un moment donné, il faut aussi savoir se foutre la paix et se dire : « Oui, j’ai le droit de ne pas me trouver super belle aujourd’hui, j’ai le droit de me trouver flasque après ma grossesse, mais j’ai aussi le droit de me dire que j’ai porté un bébé et que, pour l’instant, mon corps est comme ça. »

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